Temps de lecture : 7 minutes
L’année dernière, j’ai mangé une tomate de mon jardin en Février. On était encore en hiver, je n’avais pas de serre…tomate vivace, vous pensez? Découvrir cette tomate toute rouge au milieu de mon jardin était enthousiasmant, mais aussi surprenant! J’ai essayé de comprendre.
Alors, déjà, je vis dans le sud (Béziers, Hérault), et ce jardin partagé est situé en haut de pente. Il est exposé au vent et profite en partie d’un grand mur blanc au sud. Globalement, il y a peu ou pas de gelée.
Mais j’ai pensé que ces seules paramètres n’étaient pas suffisant, d’autant plus que cette année, plusieurs pieds de piment et physalis ont eux aussi passé l’hiver, et on bien tenu. Pour être plus précis, leur parties aériennes n’ont pas disparu, les premières fleurs de Physalis (pieds planté à l’automne) sont apparues en Février cette année, et j’ai cueilli des piments mûrs et des « verts » sur pied, en Février aussi. Bref, j’ai du piment et de la tomate vivace.
Pour cet article, je vais prendre la tomate pour exemple principal, mais la logique s’applique à toute plante cultivée.
Est-ce si simple d’avoir de la tomate vivace?
Tentons de mieux comprendre pourquoi ces plantes dites annuelles sont devenues vivaces. et avant tout, il convient d’expliquer la base : une plante annuelle fait son cycle de reproduction en un an, ou plutôt un cycle. Autrement dit, en un cycle saisonnier (plus ou moins long selon la plante), la plante est née, s’est développée, et a produit ses graines, avant de mourir. La vivace, elle, vit plusieurs années (quelques années à plusieurs centaines d’années). Enfin, c’est ce que je croyais…
Une réalité plus complexe
On sait aujourd’hui que le caractère annuel ou vivace d’une plante est assez mouvant, en tout cas non définitif. En effet, de nombreuses vivaces ont été extraites de leur habitat d’origine deviennent annuelle là où elles sont introduites. On peut notamment compter la tomate!
Après quelques recherches, j’ai constaté que le climat (le froid, surtout) n’était pas seul responsable de la mort d’une plante. En effet, on appelle monocarpique, apaxanthe ou sémelpare les plantes mourant après reproduction. Le contraire est nommé polycarpique, pléonanthique ou itéropare1
Pour résumer, les plantes dites annuelles meurent soit épuisées après s’être reproduite, soit à cause du froid. Autrement dit, on ne peut pas rendre vivaces toutes les plantes. Bref, continuons.
Comprendre l’habitat originel de la plante
Ensuite, il est intéressant de resituer les origines de la plante en question avant de chercher à la rendre vivace.
La famille des solanacées, à laquelle appartient la tomate, est originaire d’Amérique centrale et du sud. Il est rapporté qu’elle est vivace dans son habitat d’origine2, et on sait qu’elle est cultivée de longue date, ce qui me fait croire qu’elle pourrait produire des fruits plusieurs fois.
Le climat propice
Maintenant que l’on comprend un peu mieux pourquoi ce genre de plante pourrait vivre plus d’une saison, intéressons-nous au froid. Pourquoi mes pieds de tomates, piments, physalis ne sont pas morts?
Eh bien, plusieurs factures tendent à expliquer cela :
- Mon jardin est peu exposé au gel
- Le mur blanc haut de 3 mètres contribue à réchauffer l’ambiance
- Je conserve quelques zones semi-cultivées, fauchées à peine une fois ou deux par an (les communautés végétales s’abritent mutuellement)
- Cela fait 10 mois consécutifs que les températures sont supérieures à la moyenne mensuelle de référence 1981 – 20103, sachant aussi que 2019 est la troisième année la plus chaude enregistrée depuis 19004, et que ce genre de températures tend à devenir la norme (Voir figures ci-dessous).
Au final, nous avons plusieurs ingrédients réunis pour un microclimat propice. OK pour les plantes, OK pour le climat, mais il nous reste quelques détails non moins essentiels.
La génétique et le temps pour rendre la tomate vivace
D’un point de vue génétique, on a toutes les raisons de penser qu’une plante que l’on cultive comme une annuelle depuis si longtemps ne va pas redevenir une « bonne » vivace si vite. S’il est probable que la plante dégénère en moins de deux cycles reproductifs (étant habituée à ne produire qu’un cycle avant de mourir), on peut néanmoins envisager une sélection de plants annuels ayant survécu plusieurs années, les reproduire pour tenter de transmettre les gènes permettant aux plants d’être vivace, et ainsi de suite au fur et à mesure des générations.
Par ailleurs, la plante devra se réhabituer à produire plus régulièrement des fruits « viables », c’est à dire attirant pour ses disséminateurs, sans pour autant s’épuiser.
Pour résumer ce point, la plante peut survivre, encore faut-il qu’elle soit capable de produire sainement ses fruits, car la rendre vivace ne pourrait se faire que graduellement, une saison ne suffira certainement pas pour que le changement soit effectif, et le bénéfice reproductible.
La tomate vivace en conclusion
De ce sujet, trois choses sont à retenir :
- Le climat général et les microclimats locaux doivent permettre la survie de la plante. Le réchauffement climatique, nous l’avons vu, est en train de favoriser ces changements de « annuelle » vers « vivace ».
- Génétiquement, on ne peut forcer une plante à évoluer plus vite que la musique. L’instabilité génétique inhérente à toute mutation nous enlève de fait tout pouvoir d’accélérer le processus.
- Ce processus ne s’applique, in fine, qu’à un nombre très restreint d’espèces, pour une économie en travail marginale.
En résumé, les tomates et autres légumes du soleil qui « deviennent » vivaces sont à mon sens un phénomène enrichissant…d’un point de vue pédagogique. Pour intéressant que ce soit, je crois que cela reste sans grand intérêt en terme de culture vivrière, à court et moyen terme. L’espoir reste cependant permis d’avoir de la tomate vivaces dans quelques décennies si des passionnés entreprennent des travaux de sélection en ce sens. Pourquoi pas?
A propos de la série #30JoursPourYPenser
Pendant le confinement lié au Coronavirus : 30 jours, 30 articles, autour de la nature et de l’humain, pour comprendre et dessiner un monde durable et joyeux !
- Jour 1 – Fertiliser à l’urine
- Jour 2 – Comment fertiliser à l’urine
- Jour 3 – Nos SMS peuvent nous mener au conflit
- Jour 4 – Four solaire : pourquoi nous devrions l’adopter
- Jour 5 – Fabriquer un four solaire en 1 heure avec les moyens du bord.
- Jour 6 – Qu’est-ce que la Permaculture? (Vidéo)
- Jour 7 – Recette pour un conflit réussi
- Jour 8 – Le frigo le moins cher du monde (et le plus écologique) (vidéo)
- Jour 9 – Principe de la permaculture : l’effet de bordure
- Jour 10 – Pourquoi on se cogne dans les meubles? Les lignes de désir
- Jour 11 – Permaculture virtuelle : logiciels libre et neuro-ergonomiques
- Jour 12 – Devrions-nous marcher pieds nus plus souvent?
- Jour 13 – Le monde (dingue) des graines – vidéo
- Jour 14 – Optimiser son lieu de vie avec le principe de versatilité (principe de permaculture)
- Jour 15 – 3 ans de Vélo Cargo – Bilan & conseils
- Jour 16 – Sociocratie? Le pouvoir équitable!
- Jour 17 – Et si on réparait nos vélos ensemble? (Interview Audio)
- Jour 18 – Serre bio-climatique écoconstruite
- Jour 19 – Découper des bouteilles en verre pour construire un mur (vidéo)
- Jour 20 – 4 astuces pour améliorer sa relation aux autres
- Jour 21 – Confinement – des plantes comestibles de mon quartier (vidéo)
- Jour 22 – Améliorer l’efficacité au quotidien, avec le zonage – principe de permaculture
- Jour 23 – Écoconstruction : mieux construire en s’inspirant de la nature
- Jour 24 – Tamiser l’argile, enrober des graines, respecter la terre
- Jour 25 – 3 classiques de la permaculture pour l’abondance au jardin
- Jour 26 – S’inspirer des motifs et cycles naturels (principe de permaculture)
- Jour 27 – Peut-on rendre la tomate vivace?
- Jour 28 – Biais cognitifs : sommes-nous condamnés au conflit?
- Jour 29 – Rafraîchir sans climatisation : s’inspirer de la nature
- Jour 30 – Un jardin en permaculture 5 ans après (vidéo)
Nous suivre
- Newsletter : bit.ly/newsletter-ntl
- Facebook : bit.ly/fb-ntl
- Soutenir notre travail : bit.ly/adhesion-ntl
- Nicholas J. Gotelli, A Primer of Ecology, Sunderland, 2008 – ISBN 9780878933181 [↩]
- https://pfaf.org/user/Plant.aspx?LatinName=Solanum+lycopersicum [↩]
- http://www.meteofrance.fr/actualites/81127530-1ere-en-france-10-mois-consecutifs-plus-chauds-que-la-normale [↩]
- http://www.meteofrance.fr/actualites/78251648-france-2019-au-3e-rang-des-annees-les-plus-chaudes [↩]
Bonjour,
Merci pour cet article intéressant. Cette observation mérite effectivement de se poser des questions.
Je tiens juste à vous reprendre quand vous dîtes :
« Le mur blanc haut de 3 mètres contribue à réchauffer l’ambiance »
Le matériau du mur emmagasine en effet la chaleur. La couleur blanche elle permet de refléter la lumière, pour ce qui est de la chaleur une couleur sombre serait plus appropriée (comme on le trouve dans les maisons Earthship ou les serres passives).
Au plaisir de lire vos autres sujets.