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Les deux documents de référence utiles à mes expérimentations pour apprendre à valoriser l’urine comme engrais sont le Guide de l’urine en production agricole ainsi que le livre « L’urine: de l’or liquide au jardin », par Renaud de Looze.
Ce qui suit est tiré de ces ouvrages et de ma propre expérience, les essais sur les toilettes sèches ont eu lieu durant les années 2017 à 2019.
Pour mieux connaitre le contexte, voir Jardin de Villamont: Gestion de la fertilité.
Bordures et ressources
Les facteurs limitants sont les suivants, s’agissant de la fertilisation du jardin potager de notre résidence :
- Pas de voiture ou camion pour transporter du fumier
- Refus relatif d’acheter de l’engrais dans le commerce
- Volume de compost produit par les quelques foyers alimentant le composteur de la résidence insuffisant pour fertiliser tout le jardin (on est soumis à la bonne volonté de chacun à ce niveau-là ce qui constitue une insécurité).
- Absence d’animaux fertilisant le jardin
- La parcelle fait 180m², ce qui est plutôt petit pour introduire des animaux.
- L’introduction des animaux supposerait une gestion et l’implantation de structures, or une des contraintes du projet est de ne pas réaliser de travaux lourds.
- L’acceptation des animaux par l’entreprise régissant la résidence semble de toute façon peu probable, je dis ça d’expérience.
Certains principes de permaculture suggèrent de voir les problèmes comme des solutions. En ce sens, la Méthodologie de design oppose les facteurs limitants (les Bordures) et les Ressources.
Pour fertiliser un jardin, une ressource toute indiquée dans un design sans animaux est l’urine humaine:
- Nous en produisons qu’on le veuille ou non
- C’est un déchet de notre activité métabolique
- Elle est produite sur notre lieu de vie, assez proche du jardin qui aurait besoin d’être fertilisé
- Elle est riche des nutriments majeurs des plantes (Notamment l’azote en grandes quantités, suivi du Phosphore)
Il est très important de noter ce qui suit:
- L’urée est l’engrais le plus vendu au monde
- Les plantes ont besoins de NPK pour pousser, or l’urine contient une quantité importante d’azote (N) ainsi qu’une quantité moindre de phosphore (P)
- La majeure partie de ces deux éléments est vendue sous des formes fossiles par l’industrie agricole
Revaloriser l’urine comme engrais revient à valoriser une ressource renouvelable, qui plus est produite sur place, et respecte le principe « Ne pas produire de déchets » en bouclant un cycle naturel liant l’humain à la terre qui le nourrit.
En savoir plus sur les principes de la permaculture : voir cet article
Valoriser l’urine comme engrais : Inconvénients et mise en garde
L’urine est stérile et ne représente pas de danger sanitaire important dans des conditions d’hygiène aux normes françaises, ce qui n’exclue pas des risques possibles dans certains cas. Néanmoins quelques règles simples permettent de limiter drastiquement les faibles risques:
- Stocker l’urine une semaine à minima
- Attendre un mois avant de récolter après une fertilisation (si l’urine est utilisée pure ou peu diluée)
- Porter des gants, lunettes et masque si la gestion de l’urine est collective
- Eviter de mouiller le feuillage, veiller en fait à incorporer directement l’urine au sol
Les inconvénients possibles sont:
- Mauvaise odeur possible selon la qualité du stockage et si l’application n’est pas faite directement au sol (l’odeur disparait en environ une journée chez moi, dans les pires conditions de chaleur et d’application)
- Il vaut mieux prendre note des fertilisations pour éviter des surdosages
- Moins pratique que de pisser dans de l’eau potable et d’appuyer sur un bouton…
Dans ce qui suit, je décris ma façon de récolter et stocker cette énergie qu’est l’urine.
Valoriser l’urine comme engrais : Données du projet
- La production annuelle de notre foyer est d’environ 600 litres : 500L/an/personne, coefficient de présence de 60%
- Apport d’urine pur accepté par les cultures sans risque environnemental ou biologique : 2L/an/m²
- Surface du jardin + terrasse de l’appartement + terrasse végétalisée = 200m²
- Nous produisons théoriquement 600 Litres, et nos cultures en accueilleront sans risque 400 Litres.
Voici les « trop-pleins » envisageables pour écouler l’excédent de production :
- Espaces verts en dehors du jardin
- Composteur en dehors du jardin
- Toilettes à eau de l’appartement
La conclusion est qu’en théorie, nous disposons de l’infrastructure suffisante pour écouler notre production d’urine, transformant ce déchet en ressource.
Valoriser l’urine comme engrais : Historique des solutions mise en œuvres pour récolter et stocker l’urine
Premier essai
- Petite commission : pisser dans des bouteilles
- Grosse commission : toilettes sèches avec mélange des urines et des fèces
Problèmes:
- Ne permet pas la récolte de l’urine à chaque fois puisque tout se mélange dans les toilettes en cas de grosse commission
- Le mélange produit des agents pathogènes : danger sanitaire possible
- responsable de « mauvaises » odeurs si on ne vidange pas rapidement
Nécessité donc de vidanger plusieurs fois par semaine les toilettes sèches, de manutentionner jusqu’à 10 kilos de bouteilles d’urine à travers l’appartement et le bâtiment, obligation de mettres les toilettes sèches sur la terrasse : nuisances et risques supplémentaires, ergonomie inadaptée…
Conclusion : j’abandonne régulièrement le système et perd donc une partie de l’énergie que je pourrais récolter…
Deuxième essai
- Petite commission : pisser dans un bocal et stocker dans un réservoir
- Grosse commission : Toilettes sèches avec séparation par bocal
Un pot en verre recueille l’urine, qui est vidé une fois par jour dans une dame-jeanne
- Ergonomie médiocre et nombreuses manutentions: Perte d’urine, nécessité de tenir le pot pendant l’acte…
- Plusieurs contenants : un pot pour le quotidien, et un plus gros réservoir pour stocker
- Inutilisable par une femme
Conclusion : j’abandonne régulièrement ce système et ma compagne ne l’a jamais utilisé ; en revanche l’entretien et les nuisances diminuent drastiquement (1x/jour devient 1x/semaine voire 1x/quinzaine, sans odeur nuisible)
On observe que même fermé, l’urine se dégrade dans le réservoir par photo-dégradation…
Troisième essai
Toilettes sèches à séparation urine/fèces : utilisation de l’urine pour l’eau d’arrosage 1 bouteille de 1 litre pour un arrosoir de 10 litres
- Multiples manutentions
- Risque d’éclaboussure
- Odeur désagréable de l’urine pure avant la dilution
- Nécessité de nettoyer les bouteilles après éclaboussures
- Refus des autres jardiniers de manutentionner une bouteille d’urine
Conclusion : a peine mieux que les essais précédents; je récolte plus d’urine qu’avant mais l’urine est parfois inutilisée, faute d’avoir une solution suffisamment ergonomique pour avoir envie de l’utiliser.
Quatrième essai
- Utilisation de toilettes à séparation urine/fèces : atterrit directement dans un réservoir sans manutention
- Dilution de l’urine dans l’eau par effet venturi grâce à un injecteur, ou en dosant manuellement (j’utilise en solution de secours un fût de 200L avec vanne de 1″, que je remplis d’eau et de 2 jerrycans de 5 litres d’urine pure, pour respecter un ratio de 1/20 en fertilisation pendant la culture)
- Distribution de cette eau enrichie au jardin par arrosage (privilégier d’arroser le sol directement et éviter l’arrosage en pluie fine pour limiter la dégradation de l’urine au contact de l’oxygène de l’air)
Pour plus de détails, voir https://natura-lien.fr/#Pissotière fertile ou la revalorisation totale de l’urine.
Positif:
- Contact minime voire inexistant selon le mode de distribution
- Facilite le stockage sans nuisance de l’urine
- L’ergonomie est celle de toilettes classiques
- Dilution automatique ou manuelle: deux moyens de distribution de l’engrais pour une fiabilité accrue du mélange, pour le bonheur des cultures (Une fonction est assurée par plusieurs éléments).
Négatif :
- Oblige à quelques achats
- Demande un certain temps de mise en œuvre
- Nécessite la mise en place d’un système de tuyaux pouvant induire une nuisance visuelle
- Pas de système de trop-plein « automatique » : si le niveau atteint le maximum, on est obligé d’intervenir
Intéressant :
- Facilité d’utilisation accrue plus simple d’intégrer des personnes à la démarche
- L’effet venturi repose sur des principes physiques ; de fait, utiliser cette technologie est écologique et fiable. Les lois de la physique ne tombent pas en panne.
- La chaleur dégage de la chaleur issue de notre métabolisme, dans des systèmes à grande échelle tels une résidence, un chauffage central pourrait se coupler au système accueillant l’urine
Conclusion
Plusieurs essais ont été nécessaires pour appréhender la gestion de l’urine et des toilettes sèches, de plus dans un contexte collectif et en appartement. Mais après quelques mois l’usage devient habituel, et la majeur partie de mon urine et de mes fèces retournent à la terre qui m’a nourrit.
Aujourd’hui je parviens à utiliser quotidiennement des toilettes sèches en appartement sans générer de nuisance pour les membres de mon foyer, et je trouve l’ergonomie suffisante pour m’habituer à tout le temps utiliser le système.
Je crois que l’installation d’un tel système respecte un grand nombre de principes en permaculture: nous stockons une énergie, qui plus est renouvelable pour l’utiliser dans un petit jardin intensif ; De fait, nous transformons un déchet en ressource, grâce à un système intégré (récolte/stockage/distribution).
C’est à mon sens faire beaucoup avec très peu. Cerise sur le gâteau, Le système est principalement auto-constructible, fonctionnant par basse pression et par gravité…Tout bénèf’! ( ͡~ ͜ʖ ͡°)
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